Source: Réseau Sortir du Nucléaire
Problèmes techniques dont la résolution est constamment reportée ou tout simplement impossible, difficultés financières qui ne cessent de s’aggraver… Les nouvelles du fiasco de l’EPR de Flamanville et le récent rapport de la Cour des comptes sonnent comme un dur rappel à la réalité pour les tenants des réacteurs nucléaires EPR et EPR2, dits de troisième génération. En sonneront-ils aussi le glas ?
Des problèmes techniques persistants
Le schéma du planning de démarrage était formel lors de la Commission Locale d’Information (CLI) de Flamanville du 12 avril 2024 [1] : la montée en puissance de l’EPR devait se faire par paliers avec 25% de puissance à l’été 2024 et l’atteinte de sa pleine puissance pour la fin de l’année 2024. Le directeur EDF du projet Flamanville 3 d’alors, Alain Morvan, n’avait pas ménagé ses effets de manche avec notamment « un nettoyage, très poussé, à la chiffonnette » [2].
Las, le planning a pris deux saisons de retard et la puissance de 25%, finalement reportée en fin d’année 2024, n’a même pas été au rendez-vous. Il a fallu que ce soit le média Blast qui en révèle la cause mercredi 15 janvier 2025 : des vibrations. Il faut dire qu’il y a le choix : le rapport d’instruction de la demande d’autorisation de mise en service du réacteur mettait en garde contre des vibrations possibles internes à la cuve (première barrière à la radioactivité) [3], des vibrations liées aux groupes motopompes primaires [4], au système ASG d’alimentation de secours en eau des générateurs de vapeur (qui participent à la deuxième barrière à la radioactivité) [5]… Et aussi des vibrations de la ligne d’expansion du pressuriseur qu’un joyeux bricolage baptisé « tuned mass damper » (dont la vision vaut le détour p.29 du rapport) est censé contenir.
Du lourd. Sans compter que Yannick Rousselet, membre de la CLI pour Greenpeace, avait évoqué lors de la CLI du 12 avril 2024 de possibles nouvelles vibrations sur le circuit primaire, déniées dans le même temps par EDF et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), aujourd’hui devenue Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR).
Il n’y a pas que des problèmes de vibrations, il y a aussi des irrégularités sur le couvercle de cuve, les soupapes des circuits secondaires principaux, les échangeurs entre les circuits de refroidissement intermédiaire (RRI) et d’eau brute secourue (SEC))… dont le traitement a été renvoyé à des échéances plus ou moins lointaines [6]. Et surtout, il y a le problème de la cuve, défectueuse et non remplaçable.
Dans ce marasme industriel, EDF n’a cessé d’être servi par l’ASNR qui a toujours mangé son chapeau en sacrifiant la sûreté (l’exemple le plus flagrant concerne la cuve), ainsi que par le président de la CLI de Flamanville, Benoît Fidelin, qui a systématiquement fait de la rétention d’information. Alors que l’ASNR préscrit que jusqu’à l’achèvement des essais de démarrage de l’installation, l’exploitant informe, selon une fréquence au moins mensuelle,
le public et la commission locale d’information constituée autour de la centrale nucléaire de Flamanville de l’avancement de ces essais et des principaux faits marquants survenus.
[7], la CLI n’a en effet pas été informée pendant l’été 2024 [8] et visiblement pas davantage fin 2024. De plus, l’expertise indépendante demandée par le CRILAN avait été purement et simplement refusée par la CLI [9].
Des difficultés économiques et financières qui s’aggravent
Les difficultés des EPR ne sont pas que techniques, elles sont aussi économiques et financières, et rejoignent en cela celles des EPR2. En effet, la Cour des comptes a rappelé dans un rapport publié mardi 14 janvier 2025 [10] qu’EDF se refuse à fournir le coût de production et la rentabilité des kWh EPR et EPR2 malgré la demande de la juridiction financière de 2020 :
Dans son rapport de 2020 sur la filière EPR, la Cour recommandait à EDF de « calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l’EPR2 et en assurer le suivi » (recommandation n° 6). EDF a refusé de manière délibérée et persistante de communiquer à la Cour des informations sur la rentabilité et le coût de production prévisionnels, ce qui amène à considérer cette recommandation comme non mise en œuvre.
Sur la base des éléments en sa possession, un calcul de la Cour prévoit une rentabilité médiocre pour Flamanville 3. Pour sa part, le programme EPR2 demeure caractérisé à ce jour par l’absence de devis abouti et d’un plan de financement. [11]
Et celles de la Commission nationale du débat public (CNDP) formulées en 2023 et 2024 :
La Commission nationale du débat public […] recommande que des réponses apportant des informations précises et complètes soient données aux questions du public ; ces réponses doivent porter notamment sur les points suivants […] l’économie générale, le financement du projet et ses perspectives de coût de production […] : [12].
« Rentabilité médiocre » est d’ailleurs un euphémisme compte tenu des coûts de production indiqués par la Cour des comptes, bien supérieurs à n’importe quel prix de vente constaté, à court comme à long terme et pour n’importe quelle source d’électricité [13].
D’ailleurs, la Cour des comptes ne semble exiger de la rentabilité que pour les projets d’EDF à l’étranger : S’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire soit générateur de gains chiffrés et ne retarde pas le calendrier du programme EPR2 en France
[14]. Il est regrettable que cette exigence de rentabilité ne concerne pas les réacteurs EPR et EPR2 en France puisque cela revient à avantager indûment le nucléaire par rapport aux énergies renouvelables (EnR), le premier pouvant se permettre de ne pas être rentable (et in fine d’être payé par des taxes et/ou des impôts) alors que le choix est ouvert en France, avec une option 100% EnR moins chère que l’option avec du nouveau nucléaire comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer [15].
En réalité, les plus récents réacteurs nucléaires d’EDF sont toujours les plus chers, à rebours de ce que l’on observe dans les énergies renouvelables [16]. Ainsi, le chantier en cours de deux EPR à Hinkley Point C (Royaume-Uni) est en passe de détenir le record mondial des réacteurs nucléaires les plus chers à 45 milliards de livres la paire [17] soit environ 53 milliards d’euros, au taux de 1.18 euros pour une livre. La Cour des comptes indique [18] que la perte sur ce chantier s’élève à 11.5 milliards d’euros pour EDF rien que sur l’année 2023. Face à la dérive des coûts d’Hinkley Point C et au gel du montant de la participation financière du chinois CGN dans le projet, la Cour demande à EDF de différer sa décision finale d’investissement dans le projet suivant, Sizewell C : La Cour préconise donc de ne pas approuver une décision finale d’investissement d’EDF dans Sizewell C avant l’obtention d’une réduction significative de son exposition financière dans Hinkey Point C.
[19].
D’ailleurs, les dépenses auraient déjà explosé à Sizewell C alors que l’investissement n’est même pas décidé. En effet, Together Against Sizewell C (TASC, Ensemble contre Sizewell C), demande au National audit office, l’équivalent britannique de la Cour des comptes, pourquoi le Royaume-Uni a déjà dépensé 8 milliards de livres avant toute décision d’investissement alors que seul EDF devait dépenser pendant cette phase (458 millions de livres qui sont devenus 700) [20]. Bref, on ne peut pas faire confiance à EDF : les coûts et les délais explosent toujours, en France comme à l’étranger.
Si l’explication du financement des EPR2 se fait attendre, c’est que ce financement est impossible sauf à tenir un double discours sur les déficits et la dette. Les dispositifs imaginés pour les EPR britanniques reposent sur le financement via une taxe supportée par les consommateurs d’électricité, tous les consommateurs d’électricité même ceux ayant refusé le nucléaire ! Tout cela pour garantir un prix prohibitif à EDF : Le prix d’exercice pour Hinkley Point C est fixé à 92,50 £2012/MWh (indexé sur l’inflation britannique).
[21], mais même pas suffisant pour boucler le budget.
Alors, pour les EPR2, le gouvernement français envisage sans doute d’ajouter à ce dispositif déjà scandaleux un prêt à taux zéro par l’État. C’est impossible pour plusieurs raisons :
- la France est déjà en procédure de déficit excessif comme six autres pays européens [22], or ce dispositif alourdirait le déficit car les intérêts seraient à la charge du budget de l’État,
- ce déficit alimente la dette publique française qui est déjà la troisième la plus importante de l’UE rapportée au PIB [23] en particulier du fait de la gestion macroniste depuis 2017,
- la France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas respecter ses objectifs en matière d’énergies renouvelables (seulement 23% dans la consommation finale brute d’énergie en 2020 par exemple) et est censée atteindre 44% en 2030, l’électricité très nucléarisée donc très peu renouvelable d’EDF (13.27% renouvelable en 2023 [24]) pèse comme un boulet sur cette contre-performance.
La Cour des comptes demande [25] que la décision finale d’investissement dans les EPR2 n’intervienne qu’après la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée conforme à la trajectoire visée pour le jalon du premier béton nucléaire
. Les travaux préparatoires permis par la scélérate « loi d’accélération du nucléaire » devraient logiquement être stoppés mais la Cour des comptes semble ignorer ce sujet de terrain. Et, s’agissant de la « trajectoire visée », comme d’habitude, les délais ne seront pas tenus.
Cela semble presque routinier désormais : la Cour des comptes a profité de ce rapport pour réévaluer le coût de l’EPR de Flamanville. Elle arrive à 23.7 milliards d’euros (de 2023), intérêts intercalaires compris, soit 20.4 milliards d’euros de 2015 [26]. La précédente estimation de la Cour des comptes, en 2020, était à 19.1 milliards d’euros (de 2015), soit un surcoût de 1.3 milliards d’euros de 2015 plus l’inflation. Rappelons que l’estimation en 2006, avant le démarrage du chantier, était à 3.3 milliards d’euros (de 2015).
Tous ces éléments de ce début d’année 2025 sonnent comme le clap de fin des EPR construits, du fait de leurs malfaçons, et des EPR et EPR2 en projet, du fait des perspectives scandaleuses et impossibles qu’ils nous réservent. Accompagné de la sobriété et de l’efficacité énergétiques, le mix 100% renouvelable s’impose désormais depuis de nombreuses années comme la solution de référence.
https://www.sortirdunucleaire.org/2025-clap-de-fin-pour-les-EPR-et-EPR2?id_rubrique=324
Notes
[1] https://actu.fr/normandie/flamanville_50184/epr-de-flamanville-edf-se-dit-pret-a-charger-le-reacteur_60944580.html
[2] https://actu.fr/normandie/flamanville_50184/epr-de-flamanville-edf-se-dit-pret-a-charger-le-reacteur_60944580.html
[3] Rapport d’instruction sur la demande d’autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville (INB 167), p. 134, 182 et 185
[4] Rapport d’instruction sur la demande d’autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville (INB 167), p. 133 et 182
[5] Rapport d’instruction sur la demande d’autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville (INB 167), p. 134
[6] EPR de Flamanville : mise en service d’un « échec »
[7] page 7 de la décision N° 2024-DC-0780 du 7 mai 2024 https://www.asn.fr/reglementation/bulletin-officiel-de-l-asnr/installations-nucleaires/decisions-individuelles/decision-n-2024-dc-0780-de-l-asn-du-7-mai-2024
[8] https://www.ouest-france.fr/normandie/flamanville-50340/nouveau-retard-de-lepr-de-flamanville-de-la-friture-sur-la-ligne-dd14485a-655b-11ef-8a04-77892ecaedb4
[9] https://crilan.fr/la-cli-refuse-lexpertise-independante-pas-de-demarrage-pour-lepr/
[10] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[11] page 25, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[12] https://www.debatpublic.fr/nouveaux-reacteurs-nucleaires-et-projet-penly/decouvrez-lavis-de-la-cndp-4603 et https://www.debatpublic.fr/projet-depr2-penly-avis-de-la-cndp-suite-la-seance-pleniere-du-04092024-6104
[13] page 29, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[14] pages 13 et 47, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[15] 100 % d’électricité renouvelable : c’est possible, mais est-ce vraiment plus cher ? et https://enrpourtous.fr/wp-content/uploads/rte_19062023.pdf
[16] 100 % d’électricité renouvelable : c’est possible, mais est-ce vraiment plus cher ? et https://enrpourtous.fr/wp-content/uploads/rte_19062023.pdf
[17] « However, that project has been hit by surging costs and delays, with the most recent forecasts saying it will open after 2030 and cost around £45bn. », https://www.telegraph.co.uk/business/2025/01/14/sizewell-c-future-doubt-edf-told-prioritise-french-nuclear/
[18] pages 10 et 40, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[19] page 10, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[20] https://www.energyvoice.com/renewables-energy-transition/565210/campaigners-accuse-government-of-lack-of-transparency-over-sizewell-c-value/
[21] page 40, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[22] https://www.vie-publique.fr/en-bref/294670-deficit-public-excessif-7-pays-de-lue-concernes-dont-la-france
[23] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-dette-publique-des-etats-de-l-union-europeenne/
[24] https://www.edf.fr/origine-de-l-electricite-fournie-par-edf
[25] pages 10, 13 et 47, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[26] pages 9 et 28, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf